Pardon my French
Le français et moi, c’est une histoire compliquée.
Quand j’étais à peine un bout de chou, je griffonnais à l’encre bleue des histoires et des contes naïfs sur les pages de journaux à la tranche dorée, que je fermais à clé. Adolescente, j’ai embrassé les classiques qui me l’ont bien rendu. Rimbaud m’a fasciné, j’ai dévoré Zola et je me suis abandonnée dans les vers de Baudelaire. Avec eux, l'encre de mon stylo plume s’est assombrie. Mon style s’est fait plus noir et ma prose plus dense. Puis j’ai commencé à collectionner des mots dans un cahier spécial et à remettre des fleurs dans mes phrases. Le clavier a remplacé la plume, l’écran la feuille. J’écrivais mon quotidien, des poèmes, des récits jamais terminés. J’écrivais sans cesse. Je suis devenue éditrice parce que je voulais me marier à la langue française. En ce temps-là, je domptais la syntaxe, la ponctuation n’avait aucun secret pour moi et je plaçais mes virgules et majuscules au bon endroit.
Puis je suis partie aux Etats-Unis.
Alors j’ai arrêté tout net d’être éditrice. Ça a duré un temps. Un long temps.
Un temps qui a vu naître et grandir deux enfants, un temps de multiples déménagements et d’autres choses que je raconterai un autre temps.
J’ai appris à écrire en anglais, et mes virgules se sont déplacées. Mes majuscules sont devenues incertaines, et ma jolie collection de mots français s’est un petit peu fanée. Je me suis demandée : peut-on oublier son français ?
Maintenant je suis bilingue. Mon français et moi, nous avons fait place à plein de nouveaux mots et concepts d’outre-Atlantique. Au début, on a fait preuve d’un peu de réticence et même d’arrogance face à la langue d’Hemingway. Nous, si chauvins et rigides, emmaillotés dans nos complexes règles de grammaire.
Puis on s’est ouvert à l’anglais, follement plus marrant parfois.
Bon, voilà où on en est aujourd'hui. Tout ça pour m’excuser, mais pas vraiment finalement. Pardonnez-moi si parfois j’emploie “capitale” au lieu de “majuscule”, si mes virgules ne savent plus où donner de la tête, si mes accents circonflexes ou graves jouent à cache-cache, et si je parle de “life” plutôt que de “vie”. Le français et moi, on se (ré)apprivoise comme le petit prince et son renard.